Samedi 8 juin, au prix de 2 mois de route à vélo, seul depuis Marseille, j’ai atteint le pied du dernier segment de 25 km de route qui mène au Cap Nord.

Une longue double ascension, dans un paysage de haute altitude et entouré de fjords sublimes, très escarpée, m’a mené à rire de bonheur comme à pleurer de désespoir et de douleur, seul face à cette route impitoyable.

Le froid, le vent, la pente m’ont poussé à dépasser les alarmes que declenchait cette épreuve physique et morale. Impossible de s’arrêter, de boire ou de se reposer tant le vent menaçait mon équilibre.

C’est l’ensemble de mes réflexes de survie qui étaient mobilisés. Le brouillard de plus en plus dense ajoutait à la confusion.

Plus de 3h m’ont été nécessaires pour couvrir ces 25 km.

Plus de 30 ans m’ont été nécessaires pour découvrir de quoi un jeune homme à la colonne vertébrale brisée était capable.

Nul combat, nulle revanche dans cette chevauchée. C’est le désir de dépasser mes frontières qui m’ont donné ce courage.

Le désir de marcher, de pédaler, de partager ces émotions de liberté.

Aucun compteur kilométrique ne peut mesurer les joies vécues à l’occasion de cette odyssée personnelle : rencontres étonnantes, amitiés retrouvées, inconnus de tous genres, hasards ou chances. Bonheurs des sens devant les paysages les plus fous, les variations de climat, de nourriture, de rythmes avec ce jour omniprésent depuis le passage du cercle arctique.

Cette solitude choisie a fait écho à d’intenses moments de rencontres, de retrouvailles avec Sev à Oslo, d’échanges épistolaires avec mes proches dans une intensité dopée par ces drôles de circonstances.

Frigorifié, épuisé, aveuglé, je n’ai rien découvert là-haut. Le fameux globe 🌐 était invisible même de près !

Mais j’ai accompli mon défi, ce rêve fou que portais depuis des années.

Alors que je n’y avais pas beaucoup cru. Alors que j’avais failli plusieurs fois, et même encore récemment, abandonner pour raison médicale, par découragement, bonne ou mauvaise raison, excuse en carton, prétexte futile, mot dans le carnet de correspondance, certificat du médecin, budget…

Mais non. Je n’ai pas lutté contre le Cap Nord. Nous nous sommes amadoués, approchés, accueillis. Ces 2 mois de difficile et progressive route et bivouac ont été une préparation subtile.

C’est ce que je retiens de ce voyage lent. Le sens donné au temps pour infuser, écouter, se fondre. Ne pas lutter aveuglément contre le mal, la maladie, les chagrins ou les vents contraires de la vie, mais plutôt identifier en soi la nature de sa volonté/désir/amour et poursuivre sa route, comme l’eau, infiniment et patiemment, sans heurt, par capillarité.

Le dernier mot est pour Bruce Lee :

Be like water making its way through cracks. Do not be assertive, but adjust to the object, and you shall find a way around or through it. If nothing within you stays rigid, outward things will disclose themselves.

Empty your mind, be formless. Shapeless, like water. If you put water into a cup, it becomes the cup. You put water into a bottle and it becomes the bottle. You put it in a teapot, it becomes the teapot. Now, water can flow or it can crash. Be water, my friend.

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M E R C I 😘